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Le Panoptique

Expiré depuis le 4 octobre 2023 à minuit (EST)

Pour accompagner notre premier dossier consacré aux cinémas des Premiers Peuples, la revue Panorama-cinéma est fière de vous présenter ce programme double incluant Le Journal de Knud Rasmussen de Zacharias Kunuk ainsi qu’une exclusivité en ligne : Wiñaypacha d’Óscar Catacora.

Horizons des cinémas autochtones

Par Anthony Morin-Hébert

Notre premier dossier consacré aux cinémas des Premiers Peuples met en relief une caractéristique essentielle de ce corpus que la pensée allochtone et eurocentrée occulte trop souvent : la pluralité des points de vue, des traditions, des esthétiques donnant forme aux œuvres autochtones. Par ignorance ou par bêtise, la critique institutionnalisée tend à tout amalgamer pour parler des films autochtones comme s'ils étaient issus d'une source unique — l'Autre monolithique que l'on aborde par ce que l'on connaît déjà de lui, à savoir l'oppression qu'on lui a fait (et qu’on lui fait toujours) subir. Certes, Wiñaypacha (2017) et The Journals of Knud Rasmussen (2006) abordent tous deux les thèmes de la déréliction, de la tradition en crise et de la modernité à travers la langue propre aux peuples représentés — l'aymara dans le premier cas et l'inuktitut dans le second. Le texte de Nicolas Renaud développe magnifiquement la portée de ce choix artistique dans le film de Catacora, qui s'applique également au long métrage de Kunuk. Les sous-titres nous rendent leurs propos intelligibles, mais il faut dépasser le simple intérêt naturaliste pour prêter attention aux riches couleurs des inflexions, des rythmes, des sonorités et de toutes les ramifications extralinguistiques (comme les jeux vocaux et les chants de Journals) par lesquels les deux langues teignent différemment notre expérience spectatorielle. Alors pouvons-nous commencer à éprouver, malgré l'imperfectibilité des traductions, les puissants liens les rattachant à leur territoire respectif, que 9500 kilomètres à vol d'oiseau séparent : d'un côté, à presque 5000 mètres d'altitude, les pics des Andes et leurs rocailleux sommets fendent les cieux, les parcelles de neige et les luxuriantes étendues d'herbe se perdent parmi les nuages; de l'autre, au niveau de l'océan, le sol de glace s'étend à perte de vue, dur et plat, inhospitalier à la végétation. Si le gris du roc et le blanc de la neige habitent les deux œuvres, leurs proportions au sein du cadre et leur impact sur le quotidien des personnages sont sans commune mesure, à l’instar des habillements (laine que l’on tisse; peaux que l’on porte) et de leurs couleurs (pigments vifs et fibres teintes; tons terreux du cuir et des fourrures), des animaux domestiqués (lamas et moutons; chiens de traîneaux) et des aliments (quinoa et feuilles de coca que l'on mâche pour oublier la faim; produits de la chasse). Que les longs plans fixes de Catacora s'opposent à ceux, nerveux, de la caméra à l'épaule de Kunuk semble tout aussi naturel.


WIÑAYPACHA 

THE JOURNALS OF KNUD RASMUSSEN 

Seulement après avoir assimilé l'ampleur des différences distinguant les Premiers Peuples peut-on commencer à mieux comprendre leurs films et considérer à sa juste mesure l'importance du projet entrepris par les cinéastes autochtones : célébrer les richesses et l'unicité de leurs nations tout en marquant les crises auxquelles l'ensemble de leurs traditions et de leurs territoires est confronté, et ce par la réappropriation d'un médium machinique inséparable de la modernité occidentale qui a causé tant de torts à leurs nations. La blessure décrite par André Dudemaine se perçoit, à un degré ou à autre, à travers l'ensemble de cette production. C'est à la détermination et à la cohérence de l'entreprise de ces cinéastes que ce programme double du Panoptique cherche à rendre hommage, à travers les dichotomies qui, à la fois, séparent et rassemblent Wiñaypacha et The Journals of Knud Rasmussen.

Entérinant notre volonté de souligner la diversité unissant les Premiers Peuples, la peinture choisie pour illustrer ce programme, signée par l'artiste ojibwé Joshua Mangeshig Pawis-Steckley de la nation Wasauksing (Ontario), esquisse l'ombre d'une spiritualité différente de celles que l'on retrouve dans les deux longs métrages présentés. Caractéristique du style Woodlands propre aux peuples des Grands Lacs, l'œuvre dépeint Nanabush, trickster doté du pouvoir de changer de forme et dont les origines, la fonction et l'orthographe du nom varient elles-mêmes d'une nation anichnabée à l'autre. Dans cette version partagée par Pawis-Steckley, cet être quasi-divin, que l'on aperçoit en pleine transformation, aurait été envoyé sur terre pour enseigner aux humains comment mener une bonne vie.